Parcourir Nanterre et faire un portrait singulier du territoire, voilà ma quête ! Faire le portrait d’une ville qui serait le creuset de la vie onirique des habitants. Je pars du postulat que les lieux que nous arpentons nous modifient, modèlent notre psyché. A fortiori les lieux où nous habitons sont déterminants dans notre perception du monde et dans la restitution qui en est faite à travers nos rêves nocturnes. J’aime à croire les théories sur la mémoire de l’eau. Ainsi le corps, qui est constitué à 60% d’eau, serait soumis à l’influence des magnétismes particuliers au lieu où il se trouve. On ne se sent pas pareil à New York, Paris ou Singapour, l’énergie n’est pas la même et les rêves en sont forcément différents. Alors on peut présupposer qu’à Nanterre avec son passé celtique, on rêve en étant soumis au territoire d’une façon particulière.

Vivre la balade comme une expérience avant tout, l’itinérance, en tenant compte de la relativité des informations perceptives. N’avoir pas d’autres finalités que l’expérience vécue et la construction graphique. Faire une photo, c’est prendre une position de regardeur, prendre le parti d’être présent, chercher un contact et le refuser à la fois. C’est avant tout une expérience physique, un sentiment d’intense présence, de perception accrue, une lutte avec la réalité qui file sous mes yeux et ce risque de tout louper, d’être passé à côté sans rien capter…dans cet état de transe, essayer de dire son monde…

« L’univers prend la forme de mon regard. » Hubert Reeves

Depuis le printemps dernier, je parcours Nanterre avec Lancelot, un ami écrivain. Il poursuit un travail sur les rêves des habitants de Nanterre, sur les rêves faits sur ce territoire là, celui que nous arpentons. Nous avons décidé de nous balader ensemble et de voir ce qui peut ressortir de ces déambulations. J’ai l’habitude d’errer dans les villes, la plupart du temps en Asie, loin de chez moi et toujours seule. Là je me confronte aux territoires connus de mon enfance. J’ai grandi à Rueil-Malmaison, et Nanterre était un terrain d’errance tout trouvé pour les collégiennes en quête de terrains d’exploration. Et puis je fais ces balades, accompagnée, alors qu’habituellement je revendique le fait de marcher seule et d’entrer dans une sorte d’hypnose propice aux perceptions accrues. Je décide de faire confiance à mon œil et à mon cerveau qui va devoir d’une part alimenter une conversation et d’autres part diriger une activité totalement non-verbale qu’est le cadrage de mon image, la captation de la lumière. Parfois trop d’informations arrivent de toute part, du verbe, un éclat de lumière, un passant atypique, un angle à cadrer….et je fais confiance, je flotte et me laisse porter par ce flux de sollicitations tant visuelles que verbales qui me permet d’expérimenter l’utilisation de mes deux cerveaux à la fois, le droit puis le gauche, puis le gauche et le droit, tout ça dans une virevolte d’exclamations partagées sur la beauté des lumières de Nanterre et de son micro-climat ! C’est vrai qu’il fait toujours beau lorsque nous sommes à Nanterre, peut-être parce que nous décidons toujours d’aller y user nos souliers lorsque le soleil est éclatant ? Pas si sûr….un matin nous nous décidons à partir car la météo est vraiment mauvaise et que j’aimerais avoir quelques images grises, avec une lumière terne ! Je les ai eu ces images grises et cela sied bien aux gratte-ciel de la Défense mais…ça ne durera pas…le temps de parcourir, sous la pluie fine et terne, La Jetée, cette passerelle en bois reliant la Grande Arche à Nanterre, le ciel flamboie déjà de mille nuages rougeoyants, laissant la place aux rayons d’un soleil éclatant et majestueux d’avoir percé ce ciel épais. Lancelot dit « Là » « et là » « et ça ? », c’est fabuleux de marcher à côté de quelqu’un qui voit les choses et les passe par son prisme créatif! Je pense à ce documentaire sur Hugues de Montalembert, peintre et vidéaste devenu aveugle suite à une agression à New York. Il disait le bonheur qu’il avait de marcher dans les rues avec un ami artiste-peintre qui lui décrivait ce qu’il voyait au-delà des apparences et des faits, il avait l’impression de recouvrer la vue dans ces moments-là alors que lors de balades avec d’autres amis, ceux-ci lui décrivant le parcours, il avait le sentiment de marcher avec des aveugles…. Alors je prends, j’appuie à tout va sur le déclencheur et j’enregistre les lieux. J’ai hâte aussi de lire ses mots qui viendront se poser sur cette balade. Je me demande quelle résonance auront nos deux arts confrontés au même lieu. L’image et le mot. Y aura t il emphase, répétitions ou apparitions poétiques ? Nous avançons sans jamais savoir où tout cela va aboutir et c’est ce qui me plait. Je retrouve mes errances asiatiques ou exotiques, mes doutes, et qui sont partagés cette fois.

« Notre existence est vécue à travers l’irréversible écoulement du temps. Mais le temps console du temps en nous offrant le droit de nous contredire. La temporalité de Moi fonde la liberté de l’esprit. » Amuisen

Marie-Sophie Leturcq

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